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Les Récits de la Deuxième Guerre Odienne

Tome 1
 
La Légende de Netzâ Lark Orin Taasant

La proximité des Terres Sauvages d'Évalivin-Sud n'est pas à prendre à la légère, et pourtant Leër, jeune fille intrépide, n'hésite pas à parcourir la campagne environnante, seule, au grand dam d'Amilea, sa mère. À son retour auprès de ses parents, la sempiternelle dispute entre mère et fille sur la véracité des histoires concernant cette zone soi-disant dangereuse aboutit à l'obligation pour Leër de les accompagner au village. Cependant, ce qui lui avait semblé devoir être une sinécure se révèle rapidement source de questions: au village, des membres de la Guilde semblent chercher quelque chose.

Ainsi débute l'aventure de Leër qui, plusieurs années après l'incident qui déterminera sa vie et de passage dans son village natal, y racontera l'histoire d'Odia, "celle qui donna l'alerte".

Exergue

Vous me dites Déesse mais je vous l’assure,
Je ne le suis pas.
Pour rien au monde je ne voudrais l’être.
Je ne peux imaginer pire condition que
Celle que vous désirez tant m’octroyer.
Me détestez-vous à ce point que
Vous ne me vouliez qu’ainsi?


Parole d’Elisha

Carte de la Haute-Seigneurie (en cours)

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Prologue

«Où est-elle encore passée?! Leër!»
Le cri s’échappa de la maison aux volets clos comme si ses murs avaient été faits de paille. Puis la porte fut ouverte à la volée et de nouveau l’appel retentit, plus fort encore, chargée d’une exaspération contenue, ou peut-être volontairement manifestée afin de toucher au coeur l’enfant vers lequel il était destiné.

Chapitre 1

Lorsque Marime Dil Garreh Fadile entra, le silence se fit. Devant le trône en bois d’acajou que le Grand Maître de la Guilde du Premier Cercle allait bientôt occuper ne demeuraient plus que quatre personnes, deux jeunes hommes et deux jeunes femmes, dans la tenue d’apparat que leur maître et maîtresse respectifs leur avait commandée.

Chapitre 2

Assise sur le bord de son lit, à ses pieds son bagage aux boucles closes, elle regardait le mur devant elle. À sa droite, la lumière du matin traçait un rectangle étiré qui débordait jusque sur le matelas. À sa gauche, les portes de la vieille armoire de bois brun foncé grinçaient. Durant les quatre ans qu’elle avait habité dans cette petite mansarde poussiéreuse, pas un matin durant lequel ce bruit avait résonné jusqu’à elle n’avait reçu son lot de jurons, et pourtant elle savait que ce son lui manquerait.

Chapitre 3

La taverne d’Élavilin-Sud était comme toutes les tavernes des villages majeurs de la Haute-Seigneurie: depuis l’extérieur, seules deux différences notables pouvaient être observées entre ce lieu et n’importe quelle autre maison. La première était la pancarte qui se balançait au-dessus de la porte, une pancarte de bois simple reliée à la façade par une tige de bois et quelques cordes ou chaînes, selon le goût du propriétaire et les conditions météorologiques du lieu, pancarte affublée d’un nom propre au lieu seul et garnie d’une image en rapport avec ce dernier, très souvent celle d’un animal sans que cela soit une nécessité, et qui manifestait, de manière subtile ou non, du type de service qui pouvait être trouvée en ce lieu.

Chapitre 4

Il fallut à Leër plusieurs secondes avant de pouvoir retrouver un semblant de gaieté. Elle s’était attendue à ce choc, aussi fut-il supportable, d’une certaine manière. Mais Kaerlo, devant elle, accusait beaucoup moins bien le coup du souvenir. Il était tombé sur le siège qui faisait face à Leër, avait posé ses coudes devant lui, les mains jointes devant sa bouche, et il marmonnait des mots que Leër ne parvenaient pas à comprendre, comme s’il était en train de se parler à lui-même, comme si tout autour de lui avait cessé d’être.

Chapitre 5

Le silence dura juste assez longtemps. Il fallait qu’une pagaille naisse de son annonce. C’était la preuve de leur certitude de connaître cette histoire.
Une personne cria dans la masse, le bras tendu. Le silence revint, un cercle se forma, puis une allée jusqu’au premier rang. L’homme qui en émergea était un peu plus petit que la moyenne, plus trapu également. Ses longs cheveux noirs attachés derrière sa nuque et ses sourcils fins lui donnait un air délicat, presque enfantin, tandis que son regard dissimulé par des paupières à moitié ouvertes qui ne laissaient qu’entrapercevoir le bleu de fer de ses yeux aurait pu être celui d’un soldat.

Chapitre 6

«Mais faisons une pause, voulez-vous? Parler autant m’a donné soif, et j’ose bien croire que m’écouter à provoqué le même besoin chez vous. Tavernier, cette tournée est pour moi!»
Les exclamations de joie firent presque vibrer les murs, et parmi elles, ce fut sans doute celle issue directement du gosier du Tavernier qui était la plus forte.

Chapitre 7

Lorsque la porte se referma, Leër reprit la parole:
«Le jour du bal durant lequel je fis réellement la connaissance d’Odia, l’idée que j’allais enfin la rencontrer fut si forte, l’impatience si grande, que les enseignements que je reçus alors passèrent sur moi comme s’ils avaient été faits de vent. En temps normal, je pense que mes enseignants m’en auraient tenu rigueur, mais cette réception était si prestigieuse qu’elle en était attendue non seulement par moi, mais aussi par tous les autres apprentis, et très certainement la plupart de mes professeurs.

Chapitre 8

«Cette salle était aussi somptueuse que tout celles que j’avais vu depuis mon entrée dans le palais, mais je n’y prêtai aucune attention car parmi les quelques personnes qui attendaient d’entrer dans la salle de bal se trouvait mon maître, Mazh Ulek Lom Lomina. Il me fit signe d’approcher puis, arrivée à côté de lui, il me considéra d’un oeil que je ne compris pas sur le moment et me questionna sur ma tenue. Je lui dis alors que je ne me sentais pas digne de porter une telle robe et qu’il me faudrait la mériter. En réponse, il me regarda avec des yeux remplis de tendresse, puis il se tourna vers la porte, et sans me regarder me dit ceci:

Chapitre 9

«Après qu’Odia fut retournée dans la salle, j’attendis quelques minutes seule sur le balcon, mon regard dérivant sur les clochers et les toits de tuiles d’Odoril, à l’écoute de cette nuit qui ne faisait que commencer pour toute une population et qui, pour moi, m’avait déjà apporté bien plus que tout ce que j’aurais jamais pu espérer recevoir d’elle. Comment en étais-je arrivée là? Quelle suite de minuscules détails, chacun insignifiants en eux-mêmes, m’avait permis, à cet instant, de pouvoir me dire qu’Odia faisait autant partie de ma vie que moi de la sienne?

Chapitre 10

Laissée seule dans la taverne en compagnie du mage Wujoom, Leër ressentit une sorte de gêne teintée d’une impression d’écrasement; gêne parce qu’elle n’aurait jamais osé demander au Tavernier de quitter son propre établissement (jamais elle n’aurait même imaginé lui demander pareille chose, se dit-elle), et écrasement car, dans un lieu comme celui-ci qui ne vivait que par le bruit et le mouvement, le silence avait la viscosité de la poix.

Chapitre 11

Lorsque la porte se referma derrière le Wujoom, Leër s’avachit sur sa chaise, les jambes tendues devant elle, les bras ballants, et s’autorisa un soupir de fatigue. Ses yeux brûlaient et elle avait envie de bâiller, mais l’heure n’était pas encore venue de se laisser aller. Dans quelques secondes, elle se lèverait et irait se poster au niveau de la fenêtre pour regarder Haeffum délivrer son jugement, rendre leurs sacs aux Oktaros et voir ces derniers rendre la route sud qui les mènerait jusqu’à leur Royaume.

Chapitre 12

D’un coup d’oeil rapide, Leër fit le tour de la salle. Bien qu’elle n’en fût pas entièrement sûre, il lui semblait qu’aucune nouvelle personne n’avait rejoint son public original. Elle s’était attendue à ce que l’agitation sur la place donne envie à quelques curieux de s’attarder un peu plus longtemps avec le groupe et le rejoigne autour d’un verre, mais, visiblement, elle s’était trompée sur ce point. D’une certaine manière, cette petite déception allait lui éviter d’avoir à répéter ce qu’elle avait dit précédemment, ce qui n’était pas plus mal.

Chapitre 13

«La ville d’Ibael-Bourg est devenue extrêmement célèbre à cause de l’importance qu’elle a revêtu durant la Guerre Odienne. Toutefois, elle n’a pas acquis sa notoriété uniquement à ce moment-là. Avant sa disparition, elle était connue pour les mécanismes d’horlogerie qui y étaient fabriqués, qui étaient les plus fins et les plus précis que l’on pouvait trouver dans ce qui ne s’appelait pas encore à l’époque les Cinq Royaumes.

Chapitre 14

«Le sixième jour du second cadran automnal était un jour comme les autres. Odia se réveilla aux premiers rayons du soleil, ouvrit la fenêtre et s’attarda à observer le ciel encore gris de la nuit proche. Il n’y avait aucun nuage, juste la clarté d’un bleu métallique à venir que le vent, elle l’espérait, viendrait gorger des effluves organiques de l’océan, cette odeur de sel teintée d’un soupçon d’arôme musqué qui rappelait le cycle sempiternel de la vie et de la mort que beaucoup de personnes d’Ibael-Bourg trouvaient étouffante, mais pas Odia.

Chapitre 15

Une fois la porte fermée, Odia attendit que Seur Cin Vaaler commençât à marcher. Toutefois, il s’arrêta à son niveau et d’un geste du menton il l’invita à suivre son pas non pas derrière lui mais à son côté. Avec une certaine gêne tentée de joie, Odia suivit la cadence de son maître et ensemble ils parcoururent la ruelle sur laquelle s’ouvrait la porte de la cuisine jusqu’à une rue plus large aux pavés entretenus qui les mena jusqu’à l’une des artères principales de la ville.

Chapitre 16

«Il ne fallut pas plus de vingt minutes pour que Pavel Tel et Odia fussent de retour dans la cuisine, découvrant, assises à leur place respective, Olida Ter et Dem Cin Vaaler, chacune tenant dans leurs mains une tasse de thé chaud, à leur côté un biscuit partiellement grignoté laissé à l’abandon de leurs pensées. Elles tournèrent la tête à leur approche mais ne prononcèrent aucun mot, comme si aucune parole ne pouvait se frayer un chemin dans l’atmosphère lourde des probables incertains, et retournèrent à la contemplation mutique de leur boisson.

Chapitre 17

«Le repas terminé, Heide Ilin et Fin Gea se levèrent pour retirer les ustensiles de la table, signalant à Odia qu’elle pouvait, si elle le désirait, rester assise plus longtemps, puisqu’elle avait accompli plus que sa part lors de la préparation du repas. Elle demeura donc assise, reconnaissante de ce bref moment de repos supplémentaire qui lui était accordé, tandis qu’autour d’elle, les deux servantes et la famille Cin Vaaler étaient occupés à nettoyer ustensiles et plats avant de les ranger à leur place respective.

Chapitre 18

«Tira Dan Cin Vaaler tomba sur le dos, droite, lourde, aussi rigide que du bois, et là non plus il n’y eut aucun bruit. Odia vit tout le monde se précipiter sur le corps. Seur Cin Vaaler la prit dans ses bras. Olida Ter se jeta sur son ventre, Pavel Tel lui prit la main. Les deux servantes étaient à ses pieds. Sans un son. Dans le silence. Odia les voyait mais elle n’y croyait pas. Cela ne pouvait pas être réellement en train de se produire. C’était un cauchemar. Ce ne pouvait être qu’un cauchemar. Ce ne pouvait pas être réel.

Chapitre 19

«Au fur et à mesure de leur avancée, de plus en plus de personnes s’amassèrent à leurs côtés, se dirigeant vers la même destination, le même idéal de sécurité que représentait le noyau dur de la cité. De plus en plus populeuses, les ruelles qu’ils empruntaient devenaient de moins en moins praticables, de plus en plus dangereuses, car tous fuyaient et dans cette fuite avait disparu la tempérance que la cité leur avait inculquée. 

Chapitre 20

«Personne ne répondit. Tous avaient la tête baissée. Ce qu’avait impliqué Olida Ter les avait réduits au silence. Et pendant ce temps, les habitants d’Ibael-Bourg continuaient d’affluer, de les dépasser pour se rendre à l’endroit précis qu’ils avaient décidé d’éviter à tout prix, et face à cette marée humaine qui fluctuait au rythme de l’effroi, deux questions résonnaient dans la tête d’Odia: fallait-il les prévenir? Pouvaient-ils les prévenir? Si Olida Ter avait raison, toutes ces personnes étaient en danger.

Chapitre 21

Tout autour d’eux n’était que le bruit. Il semblait venir de partout, s’infiltrer partout, devenir tout. Le corps d’Odia n’était plus que cela: du bruit, du bruit, encore du bruit. C’était une pluie de bruit. C’était un déluge de bruit. C’était une avalanche de bruit. Ses bras, ses jambes, des mains, sa peau, son souffle, ses cris s’étaient fondus dans le bruit, le bruit de l’acier qui se tort, qui vibre, qui résonne, qui ploie, qui se déforme, qui s’enfonce, qui creuse, qui crève, qui se déchire. Leur vie dépendait de ce coffre de métal dans lequel ils avaient trouvé refuge, dans cette malle providentielle qui les contenaient.

Chapitre 22

Intrigués par les mots que venait de prononcer la Matapi, tous les réfugiés portèrent leur regard sur elle. Même Pavel Tel, qui depuis le réveil d’Odia n’avait manifesté qu’une apathie lancinante, fit un mouvement vers elle. Ari laissa un léger rire glisser hors de sa gorge.
«Et bien, pourquoi faites-vous cette tête? Pensiez-vous que je n’avais pas pris le temps de réfléchir à cela? Je ne pense presque qu’à cela depuis que l’attaque a commencé, et d’après ce que j’ai pu constater, je pense avoir une idée assez bonne de la tactique de notre adversaire, et de ce que nous allons devoir faire afin d’espérer lui échapper.»

Chapitre 23

Depuis le comptoir s’éleva un murmure chuintant qui attira l’oeil de Leër. Elle se redressa légèrement tout en tendant le cou dans la direction des sons et demanda au groupe de personnes, des hommes d’une quarantaine d’années environ dont la plupart portait ces couvre-chefs gris et mous écrasés sur leur front qui témoignaient d’une calvitie qu’ils avaient encore du mal à assumer, ce qui avait attisé leur échange. Aucun d’eux ne répondit tout d’abord, sans doute par crainte de se voir, tout comme la famille Pertuis plus tôt dans la soirée, de devoir quitter la taverne pour avoir interrompu le récit de l’ambassadrice.

Chapitre 24

Ainsi postée, sa tête seule s’esquissant au-dessus du sol, telle une tête privée du reste de son corps, Odia demeura, immobile, durant un temps qu’elle ne put jamais définir. Minutes? Heures? Peu lui importait alors, et en conséquence, sa mémoire n’en conserva aucune notion. Face à la dévastation, face aux piles de murs en ruine, face aux flammes qui crépitaient sur un fond de silence mortifère, son être s’était comme émietté.

Chapitre 25

L’utilisation de la formule rituelle des conteurs plongea la salle dans un effarement total pendant à peine une seconde, avant qu’elle ne se déchaîne en questions et en contestations de toutes sortes. Comment pouvait-elle finir son récit ainsi? De quel droit les laissait-elle pendus à ce dernier instant, sans prendre même la peine de raconter quoi que ce soit du combat de Netzâ contre les envahisseurs Nomolyths? Elle devait finir son histoire. C’était son devoir.

Chapitre 26

Le chaos de la route tira Leër du semblant de sommeil dans lequel elle était parvenue, moins d’une heure auparavant, à se glisser. Les yeux gonflés par la somnolence, les membres endoloris par le manque de repos, la langue pâteuse de la fin de soirée précédente, elle plaça sa main droite devant elle pour atténuer la radiance qui provenait de l’extérieur, encore bien trop puissante pour elle malgré les rideaux de tissu léger qui recouvraient tant bien que mal les ouvertures ménagées dans les portes latérales du véhicule.

Chapitre 27

«Je vois que tout est en règle. Merci d’avoir ainsi patienté, Dem Ambassadrice. Au nom de tout le peloton de Crousville, je vous souhaite une bonne arrivée en Royaume Oktaro, et une bonne fin de voyage à destination de Jikiol-Hel.»
Leër considéra un instant le lieutenant dressé devant elle et les documents qu’il lui tendait. Les fines lignes qui égayaient les commissures de son regard, comme s’il passait ses journées dans la félicité la plus totale, contrastaient étrangement avec la rigidité militaire de son uniforme, un ensemble pantalon et chemise d’un gris léger agrémenté de lignes dorées au niveau des coutures, qu’aucun pli ne venait souiller.

Chapitre 28

Trois coups résonnèrent sur la porte de la chambre de Leër, puis des bruits de pas s’éloignèrent le long du couloir. Leër s’étira. Le drap sous lequel elle s’était pelotonnée avait presque entièrement glissé au pied du lit sans qu’elle s’en fût même aperçu. La tiédeur de la nuit avait été bien plus que suffisante.

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