Maléfices, sixième année
La sixième année de Maléfices fut sans doute la plus difficile, pour de multiples raisons. Prisonnier d'un espace quotidien qui me renvoyait l'image de l'Étranger dont on m'affublait, j'évoluais dans un entre-temps: un passé que je ne voulais conjuguer au futur et un futur qui demeurait impalpable.
Pendant cette période, l'université avait des allures d'inatteignable: refusé dans la forme comme dans le contenu, je m'écrasais contre les autorités intellectuelles qui refusaient mon sujet de thèse, le parant de sobriquets dont je ne dévoilerai aucun détail, étant peu glorieux. Face à cela, je m'enlisais dans un rituel de recherches et de développements qui ne firent autour de moi que peu d'émules. Sans présence universitaire, passant mes jours à décortiquer livres et articles afin d'y puiser les informations nécessaires à l'élaboration d'un sujet de thèse qui soit accepté, j'étais pour certains un paria, pour d'autres un rêveur qui devait retourner sur Terre.
Les écrits de cette année, bien moins nombreux, révèlent cet état. Leur rareté et les thèmes abordés sont issus du passé ou du rêve ou alors sont inachevés. Dans l'adversité et l'impression d'avoir échoué, les mots étaient devenus des bêtes apeurées qui me fuyaient, moi qui avais tenté de les dresser depuis cinq torturantes années.
Mais ils expriment également une autre vérité: ce besoin compulsif d'écrire qui avait été mien pendant si longtemps s'était atténué, preuve que la raison première de l'acte d'écrire avait cessé totalement. Écrire n'était plus relié à l'extirpation de la douleur (ou sa représentation) sentimentale. À la place, autre chose grandissait.
Cette "chose" ne peut être représentée ici car elle serait illisible sans bon nombre de notes et de commentaires afin d'en expliquer les structures. Cette "chose" est la première véritable tentative d'écriture d'un projet d'envergure qui deviendra l'Utopie du Ciel et de la Terre et dont les fouilles commencèrent lorsque évadé de l'enclos qui m'avait vu grandir je me retrouvais libre de pouvoir considérer ma thèse et dans ses ramifications philosophiques et dans ses considérations scientifiques.