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Plus personne n’est Charlie, tout le monde est Nutella.



Cela fait un peu plus d'un mois que la tuerie de Charlie Hebdo a eu lieu, et déjà tout le monde s’en fout. Un mois d’apitoiement ça aurait de toute façon été trop long.


« Bah bien sûr. Il faut avancer dans la vie. Il ne faut pas regarder le passé parce que, vous comprenez, le passé c’est triste. »

  • Grave. C’est tellement déprimant quand on pense à ça. On ne peut pas toujours penser à ça, on arriverait plus à vivre.

  • Et puis on est allés à la manif près de chez nous, on a changé notre photo de profil. Ça c’est un geste fort. C’était plus nous, c’était une image, un symbole.


C’est vrai, vous avez sans doute tous fait ça, ou si vous ne l’avez pas fait, vous deviez avoir une bonne raison ou un semblant de bonne raison, quelque chose qui, pour vous en tout cas, était une bonne raison. Et puis après trois semaines, parce que vingt-et-un jours sans avoir sa photo à soi sur FB, c’est trop, vous avez changé votre photo de profil pour remettre votre visage, ou celui de votre enfant, ou celui d’un beau paysage, parce que vous aimez cette photo et que vous aimez qu’on vous associe à elle.


Et tout a repris comme c’était avant : les soirées où Charlie Hebdo n’est plus le centre d’intérêts, où le Hobbit est tout, où Strauss-Khan est la risée de l’assemblée. Parce qu’il faut rire, que c’est « le message de Charlie et que si, on pense encore à ça, mais pas trop quand même, parce que y a des choses plus importantes. Mais on y pense, bien sûr. On oubliera jamais. »


Que dalle que vous n’oublierez jamais ! Bien sûr que vous avez oublié. Vous avez fait votre quota de civilités, vous avez fait tout ce que vous pouviez pour cela. Maintenant, comme vous dites, c’est le temps de repenser à vous.


Et puis là, ça y est ! l’Émotion (oui, avec un grand [É]) revient. Une nouvelle affreuse entre toutes, qui vous touche à tel point que cela placarde de nouveau les murs et que cette date fera elle aussi sa place dans le panthéon des tristes découvertes de l’année 2015 : Michele Ferrero est mort. Le père du Nutella vous vous rendez compte !? C’est grave quand même. Il avait 89 ans et c’est lui qui a fait votre enfance grâce à sa superbe recette.


« Quoi, ce n’est pas de cela dont tu parlais ? Bizarre. C’est quand même super important. Copenhague ? C’est où ça ? C’est la Hollande non ? Le Danemark ! C’est çaaaaaa. C’est beau là-bas. Mais personne n’y va, y a pas grand chose. Et puis c’est loin de chez nous. Pourquoi tu parles de ça ? »

  • Y a eu deux morts et cinq policiers blessés par des personnes lors d’une rencontre sur la liberté d’expression.

  • Ah.

  • « Ah ? » Tu viens juste de dire « ah? »

  • Bah… oui. C’est triste mais ça arrive. Et puis avec la nouvelle de la mort du gars Ferrero, j’ai épuisé mon quota. Et puis on a déjà manifesté pour la liberté d’expression cette année.


Bah oui c’est vrai. Pourquoi se prendre la tête pour redire quelque chose quand le Nutella est dans l’autre partie de la balance. Notre estomac et notre langue est plus importante que ce pauvre gars. Et en plus ils sont morts, alors de toute façon ça va pas changer grand chose.


C’est vrai qu’il vaut mieux pleurer la mort d’un mec dont l’entreprise est composés de putains d’enfoirés responsables de déforestation de régions entières, de massacres de primates par centaines (qui sont des êtres conscients, sensibles et vivants je vous le rappelle, et de plus en plus considérés comme étant légalement des êtres conscients non-humains, ce qui veut dire qu’ils sont de plus en plus perçus comme des êtres un peu comme vous et moi, mais avec plus de poils sur la face), de perturbations climatiques dues à l’absence des arbres qui ne retiennent plus l’eau, ce qui provoque des écoulements dangereux, des glissements de terrain, une diminution énorme de la quantité d’eau évaporée et donc une perturbation grandissante des quantités d’eau dans la région, sans compter les morts par inondations ou les assèchements des nappes phréatiques, et j’en passe un sacré paquet parce que je ne suis pas spécialiste des sols et encore moins de l’économie de ces régions et qu'en mettre ne serait-ce que la moitié vous rendrait déjà tarés.


Mais c’est trop loin ça, ça ne nous touche pas. On ne sait même pas où ça se trouve sur la carte. C’est quelque part en Afrique et l’Afrique c’est super grand.


C’est pas la question ! La question est que vous préférez porter aux nues un mec qui a vécu une longue vie pleine de capitaux et possesseur d'une fortune colossale (j'me demande bien d'ailleurs si les employés sont tristes de la mort de ce gars qui est blindé de fric grâce à leur travail) plutôt que de parler de deux personnes lambda qui se sont fait tuer par deux tarés lors d’une réflexion sur l’un des fondements de votre monde, fondement qui vous permet justement de pouvoir poster un article en hommage à un mec dont tout le monde devrait s’en cogner car il est mort à 90 ans dans l’opulence. Les gars qui sont morts à Copenhague, l’un d’eux avait 55 ans. Cinquante-cinq ans bordel ! C’est encore jeune pour notre monde ! Et il s’est fait tué pour avoir voulu réfléchir et partager sur la liberté de parler et de savoir ! Et l’autre ? Aucune idée de son âge pour le moment, mais même en admettant qu’il avait soixante-quinze ans ! il se sont fait tuer ! Et vous nous brisez les neurones pour un milliardaire dont l’entreprise préfère détruire le monde plutôt que de changer sa putain de recette !?


Vous savez quoi ? Faites ce que vous voulez. Continuez de causer à propos de ce pauvre homme mort dans son lit, moi je m’en vais pleurer en silence et dans mon coin sur ces deux anonymes que leurs familles déplorent, eux aussi dans le silence du monde, tout ça parce qu’ils n’étaient pas connus et qu’ils ne le seront jamais, car les gens préfèrent se souvenir des meurtriers plutôt que de leurs victimes.

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