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Cette histoire commence comme toute histoire devrait commencer : par un bruit d’horloge.

 

Ce bruit résonnait dans la nuit, sans que je sache pourquoi, sans que je puisse savoir d’où. Il était là, dans l’air, marquant le temps d’une régularité lancinante, vomissante. C’était un son simple, toujours le même, qui envahissait l’espace, qui frappait le noir de la nuit. Mais il ne venait pas d’une horloge. Enfin, je ne crois pas. Il n’y a pas d’horloge dans le lieu qui contient cette histoire. Et puis… même s’il y en avait eu une, ce bruit ne serait pas venu d’elle. Il ne serait venu d’aucune horloge. Le bruit était trop lent. Beaucoup, beaucoup trop lent. Il marquait pourtant le temps. Je le sentais en moi. Il y avait un rythme. Et ce rythme… ce rythme… Il était tout. Absolument tout ! Il était derrière le mur, devant le mur, dans l’air, dans ma tête ! Il était même dans ma tête bordel ! Et j’avais beau vouloir cesser de l’entendre, j’avais beau vouloir l’effacer de ma réalité pré-sommeil, je ne pense pas y être arrivé. Je ne sais pas en fait… Je ne m’en souviens pas. Le sommeil m’a pris cette partie de ma vie. Ce dont je me souviens par contre, c’est de la sensation de peur que ce bruit à fait naître dans mon être, cette impression malodorante d’un autre qui se trouve à la fois en moi et en dehors de moi et qui me contrôle, qui me pousse à agir indéfiniment, qui me fait, entre chaque bruit, pendant chaque bruit, bouger, marcher, toujours, toujours, car il le faut, un mécanisme, un rouage, une horloge, devant faire, car c’est comme ça, parce que.

 

Et dans ce monde qui était vrai alors, je me souviens d’une chose, une chose pire que toutes les autres, pire que de devoir bouger, pire que de devoir entendre ce bruit, de mon bras qui n’était plus le mien, de mon bras qui n’était plus mon bras, de mon bras qui était encore attaché à mon corps mais qui n’était plus de lui, et qui s’avançait, mu par une volonté si pleine que je pouvais la sentir, qu’elle remplissait la salle, que je la sentais en moi. Elle était tout. Absolument tout ! Elle était sous ma peau, sur ma peau, dans l’air, dans ma tête ! Elle était même dans ma tête bordel ! Je pouvais l’entendre, résonner dans mon crâne comme si elle était une partie de moi. Mais elle n’était pas moi. Je le sais ! Je le sais car elle me voulait mort. Elle voulait que je disparaisse. Elle voulait m’écraser, me fractionner, me briser, que je ne sois plus qu’un point. Elle voulait que je m’arrête, que je cesse d’être, que je m’effondre, que je m’émiette, que je me disperse dans le sol ! Elle voulait ma dissolution et moi, ressentant cela, je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais que sentir, que subir, le poids sans mesure de ce monstre qui était en moi et que je ne pouvais combattre. Je me sentais impuissant, vitrifié, près à être brisé, car face à ce corps lourd qui enserrait mon souffle, je savais qu’il n’y avait nulle victoire, nul espoir.

 

Puis je me suis réveillé. J’étais de retour dans cette pièce que je n’avais pas quittée, et cela était pire que tout, car je me savais dans la réalité, je me savais vivant, en train de penser par moi-même, non plus soumis aux règles suffocantes d’un onirisme de carnaval mais dans le vrai, dans l’espace de mon propre sentiment d’existence, et pourtant je pouvais toujours sentir ce bras qui n’était plus mon bras et cette conscience qui n’aurait pas dû être autour de moi devenir de plus en plus présents, de plus en plus puissants, et toujours ce bruit qui emplissait tout.

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